La ville productive — une nouvelle thématique de travail
Série de photos, Atelier Bruxelles, 2016, Brussels. Photo: Bas Bogaerts

L’exposition A Good City Has Industry de 2016 a marqué un moment clé et le début d’un véritable passage à la vitesse supérieure. Le concept de la ville productive avait alors d’ores et déjà fait l’objet d’une attention particulière, bien que prudente. Mais revenons en 2010, qui consacre une première année d’activité pour Architecture Workroom Brussels. Le florilège de projets autour de la thématique de la ville productive permet de visualiser l’évolution de notre approche au fil des ans. La première phase du processus consiste alors à inscrire la thématique à l’agenda. Grâce à une multitude d’études, de publications et de manifestations culturelles, toujours en collaboration avec les différents acteurs, nous avons pu mettre le sujet à l’ordre du jour.

Construire Bruxelles (2010-2012)

Avec l’exposition Construire Bruxelles (BOZAR, 2010), nous avons cherché à analyser la manière dont laquelle l’architecture et le développement urbain pouvaient contribuer à une transformation durable de la ville. Nous avons regroupé une collection impressionnante de bonnes pratiques adoptées par diverses villes européennes. Une partie de l’exposition était consacrée à l’économie et plus particulièrement à la problématique suivante : comment l’architecture peut-elle contribuer à l’économie locale ? Nous nous rappelons encore à quel point il fut difficile de trouver de bons exemples. Ceci explique pourquoi seule une petite partie de l’exposition avait été dédiée à la question et pourquoi le chapitre abordant la problématique dans le livre publié à l’occasion de l’exposition était le moins étendu. Cette recherche laborieuse nous a toutefois interpellés. Pourquoi cette culture dominante du développement urbain menait-elle à la délocalisation de l’économie manufacturière locale et des activités de logistique en dehors de la ville ? Et tout ceci alors même que les villes étaient confrontées à des taux de chômage élevés, et qu’elles représentaient les principales zones de chalandise en termes de biens ? Cette intuition n’allait plus nous quitter. Une nouvelle thématique de travail, dont l’urgence se faisait sentir, s’ouvrait à nous.

 

Thinkers vs Makers (2016)

Nous nous sommes d’abord mis au travail dans notre propre ville. La carte Thinkers vs Makers a vu le jour à l’occasion de la Biennale internationale d’architecture de Rotterdam (IABR) 2016, qui s’est déroulée sous le signe de la « next economy » et incarnait une interprétation plus poussée des recherches cartographiques menées à la suite du lancement du projet Construire BruxellesThinkers vs Makers illustre la dualité de la ville de Bruxelles, géographiquement et socialement divisée en deux parties. À l’ouest du canal, nous retrouvions une population pauvre (« les faiseurs ») et un taux de chômage important, alors qu’à l’est la population était hautement qualifiée (« les penseurs ») et la ville prospère. À l’ouest se trouvaient encore de nombreux sites industriels, dont certains encore actifs, d’autres abandonnés. À l’est, une ville de bureaux où l’économie tertiaire fleurissait. La carte démontre ainsi l’existence d’une relation évidente et pourtant problématique entre le territoire et l’économie. Nous avons utilisé une version antérieure de cette carte afin de mieux définir les ambitions du Plan Canal initié par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale. Comment la ville pouvait-elle intégrer les réalités économiques et sociales liées à son territoire ?

 

Plan Canal (2013)

En 2013, nous nous sommes impliqués dans la conception du Plan Canal, pilotée par l’architecte urbaniste français Alexandre Chemetoff. La zone du canal était alors l’un des quartiers les plus problématiques de Bruxelles. Cette zone faisait office de « terre d’accueil » pour de nombreux nouveaux arrivants dans la ville. La croissance de la population allait également de pair avec un taux important de pauvreté et de chômage. Le Plan Canal avait donc pour ambition de redonner vie aux quartiers difficiles dans la zone du canal. Afin de faire rédiger un plan directeur, la Région a alors décidé d’organiser un concours. Nous avons assisté le donneur d’ordre sur l’ensemble de la procédure et la rédaction du cahier des charges. À l’époque, en matière de projets de développement urbain, un cahier des charges traditionnel ne traitait bien souvent pas des mesures de précaution et de renforcement de l’économie. Dans la phase initiale du Plan Canal, il était d’ailleurs prévu de créer autant d’espace que possible pour accueillir de futures habitations. Les anciens sites industriels allaient disparaître au profit de lofts élégants destinés à la classe moyenne, qui menaçaient donc de chasser la population locale. Progressivement, nous avons réussi à faire évoluer cette vision. La promotion de l’économie manufacturière est ainsi devenue un critère important dans le cahier des charges. Le développement d’une meilleure compréhension a permis de souligner l’importance d’intégrer dans la ville des espaces destinés à l’économie et au travail.

 

Festival Kanal Play Ground (2014)

L’élaboration du Plan Canal ne s’est pas déroulée sans consulter les habitants. Depuis 2010, nous avons œuvré en collaboration avec Platform Kanal et le Kaaitheater afin de mettre en place une intervention culturelle qui puisse permettre à la fois d’impliquer la population et les associations locales dans le développement d’une vision pour la zone du canal et de les interroger quant à leurs besoins. Par exemple, l’une de nos interventions urbaines a pris la forme d’un pont piétonnier temporaire reliant les deux rives du canal en 2014, une réalisation signée Gijs Van Vaerenbergh. Le pont avait une importante valeur symbolique. Il créait un premier lien physique entre les quartiers au nord et ceux au sud du canal. Le canal ne représentait plus une frontière infranchissable, mais un espace de partage et de connexion entre les « faiseurs » et les « penseurs ».